Débat autour de la loi d’amnistie au Sénégal : entre quête de justice et impératifs de réconciliation
La question des lois d’amnistie suscite de vives réactions au Sénégal, à la suite de la volonté exprimée par le Premier ministre et candidat du parti PASTEF de réexaminer la loi d’amnistie en vigueur. Cette démarche, visant à rouvrir les dossiers liés à des événements politiques tragiques, fait écho aux aspirations de justice et de reconnaissance des familles de victimes. Cependant, elle divise l’opinion publique, certains y voyant un pas vers la vérité, d’autres redoutant une rupture de la sécurité juridique pour les bénéficiaires de l’amnistie.
La loi d’amnistie, par définition, est une mesure législative qui efface les infractions et leurs conséquences pénales pour les personnes concernées, sans nécessiter de jugement. Elle se distingue d’une décision judiciaire et repose sur une décision politique visant à promouvoir la réconciliation nationale ou la pacification sociale.
Le projet de révision de la loi d’amnistie soulève des enjeux juridiques de taille, notamment autour des principes de non-rétroactivité et de sécurité juridique, comme le souligne El Amath Thiam, juriste et président de l’association « Justice Sans Frontière ». Ces principes, profondément enracinés dans les systèmes juridiques modernes, visent à protéger les droits acquis et à éviter des changements imprévisibles dans la situation légale des citoyens.
Au Sénégal, le droit ne permet pas d’appliquer rétroactivement des lois plus sévères, un principe également appliqué en France, comme en témoigne le cas de l’arrêt « Boudarel ». La Cour de Cassation française a rappelé que les effets d’une loi d’amnistie sont définitifs, empêchant ainsi toute reprise des poursuites pour les faits couverts. Cependant, l’exemple de la loi « Ezzan » de 2005 au Sénégal montre les difficultés de remettre en cause des amnisties antérieures sans perturber la stabilité juridique.
Plusieurs pays ont déjà pris des décisions similaires. En Argentine, les lois d’amnistie de la « guerre sale » ont été annulées dans les années 2000, permettant la poursuite des responsables de la dictature militaire. Ce retour en arrière a été possible grâce à un consensus national fort et un cadre juridique adapté. En Afrique du Sud, la Commission Vérité et Réconciliation a permis une approche de justice transitionnelle, sans remise en cause ultérieure des amnisties accordées, un modèle de compromis entre justice et réconciliation.
Rouvrir des enquêtes sur des faits anciens pose des défis pratiques considérables. Avec le temps, les preuves peuvent s’évanouir, les témoins peuvent disparaître ou voir leur mémoire altérée, compromettant ainsi la crédibilité des enquêtes et des poursuites. En l’absence de preuves nouvelles, une réouverture des dossiers pourrait être perçue comme une manœuvre politique.
Face aux limites juridiques et pratiques, certains experts proposent des solutions alternatives, comme des commissions Vérité et Réconciliation. Ces dispositifs permettent d’allier justice restaurative et transparence, dans le but d’apaiser les tensions tout en honorant la mémoire des victimes. Une révision de la loi d’amnistie pourrait marquer un tournant pour la justice transitionnelle au Sénégal, mais elle impose de naviguer prudemment entre les principes de droit et les aspirations des familles des victimes.
Cette réflexion ouvre la voie à un débat national sur les moyens de concilier les exigences de justice et de pardon, afin de permettre une réconciliation durable qui honore le passé sans compromettre l’avenir.